Jean Quellien


Préface du livre "Un fleuve pour la liberté, la Dives"

Bien des livres ont été consacrés au Débarquement et à la Bataille de Normandie. Certains moments forts ont particulièrement retenu l’attention des historiens : la bataille de Caen, la guerre des haies dans le Cotentin, l’opération « Cobra » et la charge victorieuse des Américains entre Saint-Lô et Avranches, le drame final de la poche de Falaise… D’autres aspects, en revanche, ont été quelque peu délaissés. Tel est le cas pour l’étroite tête de pont ouverte aux premières heures du 6 juin, entre l’Orne et la Dives, par les hommes de la 6e British Airborne. Aussi, faut-il savoir gré à Vincent Carpentier de s’être intéressé à ce secteur, brutalement tombé de la lumière dans l’ombre.

Cette zone est, en effet, sous les feux de l’Histoire dans la nuit du 5 au 6 juin, tout comme la région entre Sainte-Mère-Église et Carentan. Pour les parachutistes britanniques comme pour leurs camarades américains des 82e et 101e Airbornes, il s’agit de sécuriser les deux flancs du secteur de débarquement. Les premiers doivent prendre intacts les ponts de Ranville et Bénouville, sur l’Orne et son canal, pour permettre la jonction avec la 1ère brigade de commandos qui va débarquer sur Sword Beach au matin du 6 juin ; mais il leur faut aussi, tout au contraire, faire sauter les ponts sur la Dives afin de ralentir l’arrivée des renforts allemands ; enfin, il est impératif de neutraliser la dangereuse batterie d’artillerie côtière de Merville.

Ces délicates missions accomplies et les contre-attaques ennemies une fois jugulées après la sanglante bataille de Bréville, s’instaure ce que Vincent Carpentier appelle un « front statique ». A partir du tremplin de Sainte-Mère-Église, les Américains se lancent à la conquête du Cotentin et de Cherbourg. Il en va tout autrement pour la tête de pont à l’est de l’Orne. Les ordres sont désormais de tenir la position et donc de s’installer sur la défensive. Le but principal des Britanniques est bien la prise de Caen – qui demandera d’ailleurs de longues semaines – et non une poussée en direction du Pays d’Auge. Le secteur entre l’Orne et la Dives se retrouve ainsi dans un angle mort du front. De ce fait, il reste dans l’ombre un bon mois durant. Situation paradoxale que celle de ces soldats d’élite que sont parachutistes et commandos, confinés dans un type de guerre très éloigné de ce pourquoi ils se sont longuement entraînés.

Mais front « statique » ne signifie nullement qu’il ne s’y passe rien, comme aux temps de la « drôle de guerre » en 1940. L’auteur le montre bien au travers de plusieurs exemples. Ici, certes, pas d’offensive majeure, mais de nombreuses patrouilles dans les lignes ennemies, des échanges d’artillerie, des obus de mortier tombant à l’improviste, le danger permanent des mines et des snipers. Entre les lignes adverses, un no man’s land déprimant, jonché de carcasses de planeurs, de cadavres d’animaux… et d’hommes. Une guerre bien éprouvante pour les nerfs et le moral, dans un environnement de bois et de marais infestés de moustiques.

Vincent Carpentier évoque également un combat fort peu connu. Celui que livrent des unités très spéciales de la Kriegsmarine chargées d’attaquer, à partir de Villers-sur-mer, les convois de ravitaillement alliés en Manche, avec des engins tous plus extravagants les uns que les autres : vedettes rapides explosives, sous-marins de poche, torpilles humaines inspirées de celles de la Decima Mas du prince Borghèse. Folle entreprise - finalement dans la veine des Kamikazes japonais - qui se solda par des résultats médiocres… mais une véritable hécatombe parmi les pilotes.

Ne sont pas passés sous silence les risques pris par de nombreux Augerons pour porter secours aux centaines de parachutistes restés disséminés à l’intérieur des lignes allemandes, du fait de largages incertains. Après la guerre, les autorités britanniques ont honoré du titre de « helpers » les Français qui avaient aidé leurs soldats. Parmi eux, plus de 600 Calvadosiens, dont une moitié habitait précisément la zone de parachutage de la 6e Airborne, dans le nord du Pays d’Auge. Certains ont payé ce choix de leur vie. Leurs corps furent retrouvés après la guerre dans deux charniers à Saint-Pierre-du-Jonquet.

 

Le 17 août, le front de la Dives se réveille brutalement avec l’offensive du 1er corps britannique en direction de la Seine. En fer de lance, la 6e Airborne, une unité désormais très cosmopolite avec le renfort des brigades belge et néerlandaise, sans oublier les commandos. L’opération « Paddle » a certes été largement éclipsée par l’acte final de la bataille de la poche de Falaise qui se déroule en même temps dans la nasse de Chambois. Et pourtant, c’est elle qui permettra la libération des villes de la côte, de Cabourg à Honfleur, en passant par Dives, Houlgate, Villers-sur-mer, Deauville et Trouville.

 

L’ouvrage de Vincent Carpentier, d’une lecture agréable, constitue une très bonne synthèse qui permet de combler un vide certain dans l’historiographie de la Bataille de Normandie.

 

 

Jean Quellien

Professeur émérite

Université de Caen Basse-Normandie


"Résistance et Collaboration dans la zone côtière"

Lundi 19 mai 2014 à 18h30 - Cinéma le Drakkar de Dives-sur-mer

 

 

Jean Quellien, professeur émérite d'histoire contemporaine de l'Université de Caen Basse-Normandie, spécialiste de la Seconde guerre mondiale, donnera une conférence autour du thème : "Collaboration et Résistance sur la Côte fleurie et dans l'estuaire de la Dives". Y seront notamment évoquées l'histoire des réseaux de Résistance, des groupes collaborationnistes et l'implacable répression orchestrée par la Gestapo après le 6 juin et au cours de l'été 1944.

 

Jean Quellien est auteur de très nombreux ouvrages sur la 2nde guerre mondiale

Membre associé au CRHQ - Axe Seconde Guerre mondiale

Professeur émérite d'Histoire Contemporaine à l'Université de Caen (2011)

Ancien Directeur de l'UFR d'Histoire à l'Université de Caen