Journal d'un jeune homme à Escoville


Claude Payen, âgé de 10 ans en 1939, fait un récit des événements

Le Débarquement à Escoville et à Colombiers-sur-Seulles

En ces premiers jours de juin 1944, on sentait une effervescence parmi les troupes allemandes. J’avais été envoyé par mon patron, sur réquisition des occupants, pour débarder des arbres avec un cheval. Une trentaine d’hommes était chargés de les couper dans le bois de Bavent, entre Touffréville, Escoville et Troarn. Il fallait les traîner jusqu’au lieudit « La Tonnelle ». Là, ils étaient chargés sur des camions allemands qui les transportaient vers la plaine et les marais de Troarn, où d’autres hommes et femmes devaient creuser des trous sous bonne garde. Ils devaient en creuser un certain nombre avant de pouvoir partir [il s’agit des « asperges de Rommel », destinées à empêcher l’atterrissage de planeurs]. S’ils étaient quittes de bonne heure, ils devaient en faire davantage le lendemain. Ce n’était pas la bonne méthode. La cadence s’est sérieusement ralentie et les Allemands étaient furieux. Je me souviens que l’épouse du Docteur Martin avait été amenée avec d’autres hommes et femmes et qu’elle refusait de prendre la pelle et la pioche, ce qui avait entraîné des menaces… Mais elle n’a pas cédé !


Les aviateurs alliés (anglais je crois) prenaient de la hardiesse et nous survolaient en rase motte avec leurs avions de chasse. L’un deux avait battu des ailes pour nous saluer alors que nous travaillions dans les champs, sans doute après avoir reconnu que nous étions des civils. Un soir que je revenais du fond du bois, assis en amazone sur le dos de mon cheval (un petit percheron qui était rond comme une boule), deux jeunes soldats allemands m’ont arrêté et ont voulu monter sur son dos avec moi. Je m’étais assis au plus près de l’encolure, ce qui n’était pas très confortable. Les deux Allemands assis derrière moi faisaient courir le cheval et riaient comme des bossus. Lorsque l’un d’eux a sorti son pistolet et a tiré en l’air, mon cheval (nommé Bichot) n’a pas apprécié et a fait un écart brusque. Je me suis rattrapé à la crinière et j’ai réussi à me tenir en place. Mais mes deux passagers sont tombés à terre et l’un deux a pris un coup de sabot de cheval dans les côtes. Il est devenu très méchant, alors que son collègue riait de plus en plus. Il a voulu tuer le cheval mais l’autre l’en a empêché et il s’est occupé de sa blessure sur le bord du chemin. Je n’ai pas demandé mon reste et je suis reparti vers Escoville, bien content d’être débarrassé. Ceci se passait le 5 juin et malgré la fatigue d’une rude journée, j’ai retrouvé des amis de mon âge et nous avons fait une partie de football après la soupe - ou plus exactement nous avons joué avec un mauvais ballon et les buts étaient marqués par des cailloux ! C’était dans un herbage où les vaches paissaient toute la journée et les glissades n’étaient pas rares…

 

J’avais treize ans et demi ; certains de mes copains étaient un peu plus âgés que moi et d’autres un peu moins. Nous sommes partis nous coucher à la pénombre. Nous habitions une petite maison dont les chambres étaient mansardées. Il y avait beaucoup de mouvements d’avions et ce n’était pas le même bruit que ceux des avions que nous entendions habituellement et qui allaient bombarder l’Allemagne par vagues de plusieurs centaines. Ceux-là volaient plus bas et en écartant le rideau, mon frère et moi avons vu un avion qui passait juste au- dessus de nous, sans bruit, juste un chuintement. Mon père est arrivé et nous a dit : « C’est un planeur, c’est le Débarquement ! » Des parachutes tombaient du ciel. Notre nuit a été finie. Vite habillés, nous sommes descendus et avons été jusqu’au bout de notre chemin.

 

 

Là, nous nous sommes trouvé nez à nez avec deux gars grimpés sur une toute petite moto pliante. Ils étaient vêtus de treillis bariolés. Ils avaient des casques, des filets de camouflage et la figure barbouillée de noir. Celui qui conduisait avait une mitraillette pendue en bandoulière et l’autre était prêt à tirer. Leurs premières paroles ont été de nous demander : « Où le Bosch Monsieur ? » Nous venions de voir un détachement d’Allemands qui allaient vers les bois de Bavent ou Troarn. Ils étaient à pied avec un armement assez léger m’a-t-il semblé. Certains traînaient des petites voitures à bras avec les paquetages. Je les avais vus par la fenêtre pendant que je m’habillais. J’en informai les deux motards tant bien que mal avec forces gestes. Ils nous ont sorti une carte très détaillée car ils voulaient rejoindre un lieu qu’ils nous ont montré sur la carte en prononçant le nom de « Mailléna ». Nous les avons dirigés vers ce lieu dont je n’avais jamais entendu parler. Il se situait près du carrefour de l’Arbre Martin, et de la poterie de Bavent, sur la commune de Bréville-les-Monts. Nous sûmes plus tard que c’est là qu’ils devaient se regrouper pour aller prendre les fameux blockhaus de Merville, où beaucoup moururent [probablement en effet des paras égarés de la 3e Brigade cherchant à gagner Le Mesnil de Bavent]. Nous sûmes ainsi que Madame Mailléna avait des contacts avec l’Angleterre pendant l’Occupation.

 

Après que nos deux jeunes tommies nous eurent quittés en se dirigeant vers Bréville par le chemin dit de la rue Madeleine, nous sommes allés voir et avons récupéré des parachutes. Certains avaient descendu des containers auxquels nous n’osions pas toucher, pensant que ces longs cylindres, étaient peut être des bombes. Nous en avons caché au pied d’une haie et nous en avons fait part aux soldats plus tard dans la journée. Dans l’avenue et le bois du château, il y avait de nombreux parachutes qui étaient restés accrochés dans les arbres. Près des bâtiments de la ferme du château, nous avons fini par voir des soldats qui nous ont demandé, eux aussi, comment rejoindre Bréville.

 

 

Il était environ six heures du matin, et il était temps que je prenne mon travail à la ferme où je soignais les animaux avec quatre camarades. Nous étions très excités et nous n’avons fait que le nécessaire. Avant le Débarquement, mon frère André (de deux ans plus jeune que moi) avait creusé une tranchée dans notre jardin et nous l’avions recouverte de planches et de fagots de bois. L’entrée était orientée vers le chemin qui part de la place et retourne vers la rue Madeleine et les bois. La canonnade était de plus en plus intense et nous nous fourrions bien vite dans cet abri, croyant être plus en sécurité que dans notre maison. Nous étions six dans ce petit boyau, mes deux grands-mères, mes parents, mon frère et moi. Nous étions vraiment mal et notre fatigue nous obligeait à dormir dans n’importe quelle position.


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Le journal d'un jeune homme d'Escoville
La guerre et l’occupation vécues par un jeune garçon en Normandie, Claude Payen
En septembre 1939, j’avais à peine dix ans et j’entendais les grandes personnes parler de l’éventualité de la guerre. Les Allemands avaient déjà envahi certains pays voisins du leur, et notamment l’Autriche. Puis ils s’en prirent à la Pologne avec une férocité inouïe ...
Un récit de 1939 à la Libération
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