"Carnet de bord des froussards de la cabane 8" - Dives 1944


En juillet 44, Joseph Lemesle, employé aux Chemins de fer, fait partie des quelques Divais autorisés à rester à Dives avec leur famille à Dives. Il demande à une de ses filles de tenir un carnet au jour le jour.

Le registre de Délibérations Municipales de juillet 1944 prend acte de l’ordre d’évacuation pour le 17 juillet et liste les quelques personnes autorisées à rester à Dives. 

Récit écrit à Dives-sur-mer par Jeanine Lemesle, du 5 juin au 13 septembre, à la demande de son père qui savait que sa famille allait vivre un moment historique. 

 



Sa soeur Hélène raconte ...

     -        Dives se vidait ...

 La famille est restée car le père était aux chemins de fer et comme le chef de gare ne voulait pas rester, il a pris les fonctions,  il allait tous les jours à la gare tous les jours pour vérifier mais il n’y avait plus de convois, le trafic était arrêté. D’autres familles sont restées dans notre quartier : M.  Leroy qui travaillait à la mairie, sa femme, Mme Hardy, était à la poste, M. Dedde comme commandant des pompiers et des clandestins dans les cités qui n’avaient pas suivi l’ordre d’évacuation : le fils Rocher s’était caché dans sa cave avec ses enfants. Les Allemands les ont retrouvés dans les cités quand ils les ont fouillées. Ils ont retrouvé aussi un ou deux Italiens qui avaient déserté et s’étaient cachés dans les cités. Ils ont dû le payer cher car ils étaient mal vus par tout le monde, par la population comme par les Allemands qui ne leur faisaient pas confiance.

Dès le début de la guerre, mon père qui avait fait celle de 14-18 avait fait une tranchée dans le jardin en face entre la maison et la voie de chemin de fer, on disait le trou. Il y avait des petites maisonnettes pour les employés de chemin de fer en saison et pour ne pas avoir la route à traverser la nuit, c’était défendu. Mon père restait souvent dans notre maison pour ne pas la laisser inoccupée. Dans le trou, il y avait des pelles pour déblayer, des bonbonnes d’eau mais pas de nourriture car il y en avait peu. Mon père a demandé à ma sœur Janine de tenir un carnet au jour le jour pendant cette période car il savait que nous allions vivre des journées historiques.

 

-        Une arche de Noé

Il y avait des chats et des chiens partout en liberté parce que les gens n’avaient pas eu le courage de les emmener à l’abattoir. On gardait des chèvres qu’un voisin monsieur D’Oliveira  nous avait confiées parce qu’il ne pouvait pas les emmener, des vieilles biquettes qui étaient mauvaises … Ma mère avait essayé de les sortir pour les mettre le long de la voie de chemin de fer mais elles ne se laissaient pas ramener alors on les a laissées enfermées et on leur donnait sur place, on les a toutes gardées jusqu’à son retour. (Jean D’Oliveira témoigne qu’il a retrouvé les chèvres de la famille quand il est revenu à Dives !)

Il y avait des chats abandonnés par leur propriétaire et qui étaient devenus à moitié sauvages, ils n’avaient plus de maison, un des chats était rentré dans la maison et il sautait au carreau. On faisait des pâtées avec des biscuits secs de troupe, on ajoutait de l’eau et on mettait cela à la rue et les bêtes mangeaient un peu mais il y en avait tellement …et des chiens aussi. On a gardé des oiseaux, un canari : on trouvait bizarre que des oiseaux disparaissent. C’était le chat siamois qu’on nous avait confié qui avait réussi à écarter les barreaux de la cage avec ses pattes et il chopait les oiseaux.

M. Marcouire avait des poules et des poulets dans son grenier avec du grain qu’on leur distribuait. Les poules disparaissaient un peu et un jour, mon père s’est trouvé nez à nez avec un Allemand alors il a ramené ce qu’il restait. On avait un poulailler en face dans la cité et ils ont quand même fini par nous les voler toutes, pourtant mon père avait tendu des ficelles pour qu’ils se prennent dedans la nuit et des clochettes, ils ont coupé les ficelles et ont laissé les têtes des poulets. Quelle aventure ! Il y avait aussi les poules de M. Sander, une petite chienne de M. Josse et la petite chienne Bouboule qui nous suivait partout …

 

-        Le ravitaillement

 On mangeait des légumes du jardin. On pouvait aller chercher du lait parce qu’aux abattoirs ils avaient gardé deux ou trois vaches qui devaient venir de la ferme Saint-Cloud et ma mère avait appris à traire dans le Nord, alors ma sœur et moi on ramenait la timbale de lait. On élevait aussi des nichées de lapins et il fallait aller chercher de l’herbe.

 

     -        L’arrivée des Belges

 Mon père avait cueilli des fleurs dans le jardin et comme j’étais la plus jeune fille, j’avais 17 ans, j’ai offert un bouquet de dahlias au premier Belge qui est passé le matin du 21 août. Le pont était par terre, Les soldats passaient sur les morceaux, un gars Legoff ou Panpin, je ne sais plus le nom, avait une barque et il a traversé. Les Belges ont ramené leur matériel et ils ont remonté un pont Bailey vite fait !

 

Extraits d'un témoignage recueilli en 2017


Retrouvez le carnet de bord de Jeanine Lemesle

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Carnet de bord - Jeanine Lemesle
Du 6 juin au 31 août à Dives-sur-mer
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Carnet de bord - ANNEXES
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